Interview // Youssoupha : « Mon album Est Hors Tendance »




Dans les bacs depuis le 23 janvier dernier, « Noir Désir », le troisième album de Youssoupha connaît un succès aussi bien commercial (numéro 1 des ventes digitales lors de sa semaine de sortie) qu’artistique.
Entretien avec celui que l’on considère comme une des plus belles plumes du rap français…


Comment s’est déroulée la préparation de « Noir Désir » ?

J’ai commencé à écrire pendant la tournée, c’est en me rapprochant du public que j’ai reçu la motivation et l’inspiration nécessaire pour faire cet album. J’ai été très prolifique en 2011, avec une digitape et un album, ça ne m’était jamais arrivé. La tournée a été un vrai moteur. Elle m’a permis de sortir de mon carcan parisien ou on est enfermé dans des certitudes ou des incertitudes un peu figées.

« Noir Désir » c’est l’album de la maturité ? Tu as l’impression d’avoir passé un cap ?

C’est un album qui me ressemble, je ne sais pas si c’est celui de la maturité. On a tellement entendu cette expression que je ne sais même plus ce que ça vaut. Mais certaines choses ont changé, je suis papa, j’ai la trentaine…

Sur cet album j’ai passé plusieurs caps, au niveau de ma technique d’écriture, dans mon savoir-faire dans le choix des prods, j’ai aussi passé un cap commercial avec Bomaye Musik. Toutes ces choses ne sont pas données ou acquises je sais qu’il va falloir les entretenir.

« Les disques de mon père » est un des titres phares de ton album avec cette collaboration étonnante avec ton père, Tabu Ley Rochereau, tu peux nous en parler ?

C’est mon morceau préféré pour des raisons subjectives. On me parle souvent de mon père qui est un grand chanteur de rumba congolaise. Quand mon fils est né, j’ai eu envie de faire un titre et profiter de cette occasion pour me rapprocher de mon père avec qui je n’ai pas grandi. C’est un titre avec beaucoup d’émotion, « transgénérationnel ». J’ai eu des retours très positifs de ce morceau jusqu’à maintenant, ça me fait plaisir.

As-tu plus bossé pour cet album que pour les deux précédents ?

J’ai travaillé cet album mieux que les autres, pas plus mais mieux. La digitape m’a vraiment servi de laboratoire, j’ai tenté des choses, découvert des producteurs, des réalisateurs de clips. J’ai une équipe très motivée, ça aide.

Quel regard portes-tu sur le rap français ?

J’écoute beaucoup de rap français, j’entends beaucoup de rappeurs dire qu’ils n’en écoutent pas, ce n’est pas mon cas. J’écoute de tout, de la soul, de la musique africaine, c’est tout ça qui me nourrit. Le rap français traverse une période qui n’est pas ma préférée. Même s’il y a quelques petites perles, le dernier album d’Orelsan, celui de Guizmo est très bien aussi. J’aime quand le rap est diversifié, on traverse une phase avec beaucoup de clones, des clones de Booba, des clones de La Fouine. C’est des artistes que je respecte, mais entre l’original et la copie, autant acheter l’original.

Tu as l’impression d’être en marge avec ce qui se fait en ce moment ?

J’ai pas l’impression d’être marginal parce que j’ai cette vision ou je me dis qu’il faut de tout pour faire un rap. Mais j’ai l’impression que mon album est hors-tendance, tout le monde va dans un truc très electro-dance. Je voulais faire un truc de gaillard. Sur ça, je suis content. Au départ c’était un pari, que ça puisse marcher, c’est satisfaisant.

Je ne veux surtout pas qu’on prenne mon album comme un corrigé du rap français, il faut de tout, il faut du Soprano, du Sexion d’Assaut, du Kery James, du Keny Arkana etc… la diversité c’est important.

Comment as-tu vécu la plainte d’Eric Zemmour ?

Au départ, quand la plainte est tombée, mal ; Parce que le grand public me découvrait à travers la caricature d’un rappeur gangster, tueur parce que c’était quand même une plainte pour menace de mort. J’ai eu cette chance de m’exprimer dans une tribune du journal Le Monde. Puis le morceau « Menace de mort » m’a servi de défouloir.

Tu as été contacté par un candidat à l’élection présidentielle , mais tu n’as pas donné suite. Penses-tu que les rappeurs ont malgré tout un rôle à jouer politiquement?

Je ne crois pas du tout à l’idée reçue du rappeur qui fédère le quartier. Les jeunes font ce qu’ils veulent, il ne faut pas les prendre pour des espèces de moutons, ils s’assument, ils ont une opinion ou pas. Moi personnellement je vote même si je ne suis pas toujours convaincu par le jeu démocratique.

Tu es ce qu’on appelle un #TwitterAddict…

C’est un outil qui me convient bien, je suis à l’aise avec, j’ai commencé à être actif sur twitter en préparant ma digitape. Je me suis rendu compte que ça intéressait les gens. Je parle avec eux, ils me soutiennent. Ça a contribué au buzz autour de l’album. Je profite de la question pour passer un Big Up à tous mes followers, c’est une grosse histoire d’amour entre nous, et si le disque marche aussi bien, ils y sont sans doute pour quelque chose.

Pour terminer une définition de « gester » ?

Je ne vais pas t’avancer à grand-chose. C’est un verbe qui ne se définit pas, il faut gester seulement. Le définir serait le réduire, le geste tend à agir dans l’excès, l’audace, la fantaisie. Gester c’est tout ça…