Alors qu’il sort son premier album « Sophia » un an après sa mixtape « 23h59 », Vin’s nous a accordé un entretien. Le rappeur originaire de Montpellier s’était notamment fait connaître avec le titre #MEETOO dans lequel il dénonçait le traitement des femmes par certains hommes. A contre courant des rappeurs à la mode, Vin’s se démarque par son choix de proposer des textes profonds et travaillés.
Pour commencer l’interview, peux-tu nous parler du milieu dans lequel tu as grandi ?
J’ai grandi avec mes deux parents, je suis le plus petit d’une famille de cinq enfants, donc une famille nombreuse. Mère au foyer, daron qui bosse, voilà l’environnement dans lequel j’ai évolué.
Comment as-tu commencé la musique ?
Mes parents m’y ont mis quand j’étais petit parce que mon père voulait qu’on fasse tous de la musique. On est cinq enfants et on a tous fait de la musique. Moi j’ai pas accroché parce que c’était conservatoire et tout, ça m’a saoulé donc j’étais pas trop dedans. Ensuite j’ai repris la musique à travers le rap à l’âge de 12-13 ans.
Et le rap justement, c’est venu comment ?
J’ai découvert réellement le rap à 12-13 ans dans le sens où j’en écoutais déjà vite fait mais mes parents n’aimaient pas spécialement le rap à la base donc c’est un de mes grands frères qui m’a fait écouter ça. Je commençais à comprendre les paroles et à ce moment là j’étais en échec scolaire. Surtout j’arrivais pas à me retrouver dans l’école, dans beaucoup de choses de la société et dans le rap j’ai trouvé quelque chose d’alternatif à la société, de subversif et dans lequel je me retrouvais beaucoup plus. Finalement je trouvais que ça me correspondait dans les valeurs. C’est ça qui m’a donné envie de rapper, j’ai vu qu’on pouvait s’exprimer et utiliser la langue autrement qu’en faisant de la grammaire en cours de français quoi.
On ressent d’ailleurs ta méfiance de la société dans ton album « Sophia »
Quelque part tant mieux, ça veut dire que mon album est fidèle à ce que je suis.
Pourquoi as-tu appelé l’album « Sophia » ?
J’ai appelé ce projet « Sophia » parce que je cherchais un titre qui puisse synthétiser le processus que décrit cet album. C’est un processus humain : comment devenir pleinement sois-même et accepter les choses telles qu’elles sont, que ce soit la souffrance ou le bonheur, comment ne pas vivre dans l’illusion. Cet album parle au début d’illusion, il commence par « Vincent » qui n’est pas mon vrai prénom, au début c’est beaucoup plus egotrip, dans un côté masque. Au bout d’un moment il y a un morceau qui dit que j’en ai marre de faire semblant et puis arrive « Charlie », c’est alors vraiment moi même et à partir de ce son on rentre dans un autre processus. « Sophia » ça veut dire la sagesse et je trouvais que c’était un terme qui permettait de synthétiser ce que je voulais dire dans cet album. Au-delà de ça, je trouvais intéressant de pouvoir personnifier mon album par un prénom, qui plus est un prénom féminin. Je trouvais ça beau et noble d’appeler mon album par un prénom féminin.
Quelles sont les significations des deux interludes de l’album « Charlie » et « Rue Charel » ?
L’interlude « Charlie » c’est ma mère qui l’a fait. Elle a découvert l’interlude en écoutant l’album, elle ne savait pas vraiment que j’allai faire ça avec l’enregistrement recueilli par mon père. Cet interlude est hyper importante. A ce moment là je me mets vraiment à nu puisque je mets ma mère sur l’album et je ne suis pas totalement à l’aise avec ça. Même si je raconte énormément de choses dans mes textes j’ai toujours été pudique dans ma musique, j’ai beau en dire je n’en dis pas tellement. La deuxième interlude qui est « Rue Charel » c’est plus un dernier coup de rétro. La rue Charel c’est là où j’ai vécu quand j’étais à Grenoble et c’était plein de souvenirs, plein de belles choses qui m’ont amené là où je suis mais ça a son lot de bon et de mauvais. Je trouvais ça intéressant de mettre un dernier coup de rétro avant de finir « Sophia ».
Dans « Salut Papa » tu parles de ton train de vie assez instable quand t’es parti du foyer familial à 18 ans, peux-tu nous en dire plus sur cette période ?
Bien sûr. Justement c’est ça c’est la rue Charel. Quand j’ai eu l’âge de 16 ans j’ai arrêté l’école, et quand j’ai eu 18 ans j’suis parti de chez moi. En fait dès que j’ai eu l’âge légal de faire les choses je les ai faites. J’ai arrêté l’école ça me saoulait d’avoir une obligation comme ça alors que je ne la comprenais pas. Ensuite à 18 ans mes parents voulaient absolument que je fasse quelque chose de ma vie, le truc c’est que moi je voulais faire du rap. Ils ne comprenaient pas ça. Donc à l’époque un de mes amis, mon ancien manager qui est donc la personne qui parle dans l’interlude « rue Charel » : Nas, un grand ami à moi m’a dit « viens vivre avec moi et mon cousin ». C’était un 20m2, on vivait entre 4 et 8 dans cet appartement, c’était le zoo . J’suis parti là bas sans but précis ni professionnel si ce n’est de développer mon rap. Donc ça a été une période particulière. Il fallait se débrouiller pour manger, pour faire ci, pour faire ça. Ça a été une époque de la débrouille qui m’a beaucoup forgé.
A quel moment es-tu sorti de cette période de débrouille ?
Ça a duré de 18 à 21 après j’suis retourné un peu vivre à Montpellier. A partir de 21 ans j’étais dans un autre mood. Je vivais à Montpellier avec un autre pote et mon frère et c’était une autre ambiance, à ce moment là j’étais plus dans ce truc de Grenoble et tout.
A la base tu es de Montpellier ?
Non, j’suis né à Avignon mais j’y ai passé 7 mois. Après j’ai vécu 8 ans à Marseille, 4 ans à Lyon. Ensuite j’ai vécu à Montpellier, j’ai bougé énormément. J’suis un vagabond (rires).
Pour revenir à « Sophia », avec qui as-tu bossé le projet ?
J’ai travaillé main dans la main avec mon manager, qui est un ami avant le rap et je le souligne parce que Balda est quelqu’un qui est mon frérot avant même qu’on parle de musique. J’ai la chance que ce soit quelqu’un qui est dans le milieu de la musique. Il a aussi un regard artistique et je dirais que c’est la première personne avec qui on a construit le projet ensemble. Ensuite il y a Dimaa, un frérot de Grenoble que je connais depuis longtemps. Notre collaboration est née pendant « Cette vie là » . Ça a été la vraie direction de ce projet, à partir du moment où on a fait notre première collab s’en est suivi de neuf autres. Après il y a Dj Kore, mine de rien c’est entre guillemets grâce à lui que je suis signé, que j’ai pu travaillé ce projet avec Capitol. On a travaillé trois sons ensemble. Ensuite Gee Sauce, un de mes gars de Lyon a fait deux sons. Enfin El’Gaouli a fait le morceau « Cette vie là ». Pareil c’est un frérot, j’ai travaillé beaucoup de sons avec lui notamment sur mon premier projet qui s’appelait « Freesson ». Donc voilà le projet est assez familial.
Ça te fait quelle sensation de sortir ton premier album ?
Déjà c’est un aboutissement. Ça a été un long processus. Ça a été des hauts, des bas, des crises. Il y a eu des moments aussi où tout aller bien mais il y a eu pas mal de moments où ce n’était pas facile. Il a fallu charbonner, parfois t’es seul en stud’ devant ta feuille et il n’y a personne qui va écrire ton texte à ta place donc tu dois écrire, faire des morceaux. Arriver à l’aboutissement être fier que ce soit dans la cohérence de l’album, dans ce que j’ai dit dans le projet, c’est de la fierté, il y a un sentiment d’accomplissement. Et maintenant il y a la petite frayeur. Je vais me mettre à nu, je vais sortir mon projet et le défendre. Je vais avoir le retour des gens . C’est comme quand t’attends tes cadeaux à Noel tu sais ce que tu vas en avoir mais tu sais pas ce que ça va être (rires).
Depuis combien de temps bosses-tu sur « Sophia » ?
C’est difficile de répondre. Le premier morceau je l’ai fait il y a presque trois ans. Ça ne veut pas dire que ça fait trois ans que je travaille dessus parce que j’ai fait « 23h59 » il y a un an et demi. Mais j’avais déjà des sons de l’album au moment de sortir « 23h59 ».
Qu’écoutes-tu parmi les artistes actuels ?
J’écoute pas mal ce qui sort mine de rien. Le dernier truc téléchargé c’est l’album de Shay que j’ai écouté, que je continue d’écouter pour bien capter le délire. J’écoute Lolo Zouai dernièrement. Je kiffe grave le dernier son de Chilla « Oulala ». Lefa aussi a sorti un truc récemment. Un autre artiste que je peux te citer aussi c’est Enima, un mec qui vient de Montréal que j’ai découvert en Guadeloupe, un guadeloupéen m’a a parlé de lui. Il m’a fait découvrir ce rappeur et j’ai grave accroché, je me bute pas mal à Enima.
Et quand tu étais plus jeune, quels artistes étaient tes sources d’inspirations ?
En premier je dirais Sinik, c’est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré quand j’étais plus jeune. Après Sniper, la Fonky Family, Psy 4 de la rime, Diam’s, Kenny Arkana. Don Choa de la FF c’est un gars j’ai grave kiffé son délire.
Beaucoup de lyricistes…
Après pas toujours. Il y a des écritures qui vont être faciles et qui vont me toucher. Genre Jul il va sortir des trucs c’est facile mais ça me touche énormément. J’aime bien l’écriture, j’aime bien les gens qui arrivent à me faire ressentir des choses.
Et quel regard as-tu sur la nouvelle génération ?
Ça dépend de qui tu parles mais de manière générale je souhaite que le meilleur à tout le monde. Je vois des artistes qui émergent et je trouve ça grave lourd. Chacun ramène une nouvelle vibe, je n’aime pas tout mais c’est ça qui est bien. Tu te dis qu’il y a des gens qui apportent des choses que tu n’aurais jamais apporté et ça permet de faire évoluer le mouvement.
Dans le morceau « Faut pas t’en faire » tu dis sur le ton de l’humour que tu ambitionnes le disque de diamant, as-tu des objectifs pour ta carrière ?
Je n’ai pas vraiment d’objectif, mon objectif c’est d’aller le plus loin. Maintenant si aller plus loin c’est avoir un disque de diamant ce sera lourd. Mais cette phrase du disque de diamant c’est une façon de dire à ma mère » tu vois un jour j’te ramènerai le disque de diamant ». Cette réussite là je la dois aussi à mes parents, je leur en ai fait baver sur pas mal de choses et même si je ne vis pas ma vie pour eux ce serait une fierté personnelle de leur apporter un disque de diamant.
Dans l’album tu parles beaucoup de tes relations avec les autres. Quelles sont les personnes qui t’entoures aujourd’hui ?
Que des vrais amis. Après je suis dans un milieu où on côtoie pas mal de gens donc je connais beaucoup de monde, de connaissances, de potos comme ça. Mais les gens que je côtoie à Montpellier c’est mon groupe, on est cinq personnes , on se connaît bien, on a tous vécu des choses ensemble qui font qu’on se connaît assez et qu’on connaît les valeurs de chacun. J’ai aussi beaucoup de frérots à Grenoble et enfin la famille.
En écoutant le dernier titre de l’album, « Sophia », j’ai eu l’impression qu’il s’agissait du morceau le plus ouvert et porteur d’espoir du projet. Est- ce que c’était réfléchi ?
Tout à fait. Dans le projet j’ai essayé de faire en sorte que chaque morceau soit une pièce d’un puzzle. Le projet commence par du négatif, je mets les points sur les i, c’est de l’égotrip puis à la fin le titre « Sophia », qui veut dire la sagesse, signifie que ça y est j’ai compris que tout ce qui m’était arrivé, que ce soit les échecs dans les relations, les merdes qui arrive dans la vie c’était moi qui l’avait décidé. Le point final c’est « Sophia ». « Il ne faut pas compter ce qu’on a mais accepter ce qu’on est. Il y a eu des larmes et du sang mais le temps répare et même si ça prend du temps ne t’en fais pas ». En gros c’est un message d’espoir et le but c’était de dire que même si dans tout l’album c’est assez sombre on a besoin de passer par ses étapes sombres et il faut accepter de les vivre parce que sans ça on n’accède pas à la vraie lumière.
Dernière question, où te verrais-tu dans cinq ans ?
Déjà au niveau de la musique je me vois avoir fait quelques succès musicaux. Je me vois avoir fait des tournées, avoir poussé ma musique à un niveau supérieur par rapport à aujourd’hui. Ensuite je me vois écrire pour d’autres artistes, que ce soit de la variété ect. Aussi j’aimerais faire de la direction artistique, j’aimerais ouvrir un studio parce que je suis ingénieur son, j’aimerais énormément ouvrir un studio et un pôle artiste à Montpellier. C’est un petit peu tous ses projets là : pousser ma carrière, faire de la DA, monter un studio et surtout faire des projets avec mon groupe, pousser mes frérots. J’suis aussi derrière eux et on est tous les uns derrière les autres. Je veux pousser les gens autour de moi parce que je pars du principe que c’est en poussant les autres qu’ils te poussent à leur tour. Je trouve que c’est important de garder du temps pour le donner aux autres.
Merci pour ton entretien, on a beaucoup apprécié « Sophia » et on te souhaite le meilleur pour la suite.